CASA CINE VUE PAR AGNÈS JAOUI ET FERNANDO PÉREZ

Entretien des mentors de CASA CINE avec la journaliste Sara Roumette.

4/29/20245 min read

L'an dernier, Fernando Pérez et Agnès Jaoui ont accompagné les résidents de CASA CINE dans le développement de leurs projets. En 2024, les deux cinéastes auront le plaisir de revenir en tant que mentors de la résidence. Découvrez leurs témoignages sur les moments de création, de travail et de partage au Château de La Napoule !

Propos recueillis par Sara ROUMETTE, Journaliste.

Comment s’est déroulé l’accompagnement des projets pendant la résidence ?

Fernando Pérez :
Il y a d’abord eu une réunion avec les quatre scénaristes, collectivement, pour faire connaissance et découvrir le contenu de chaque projet. En l’occurrence, les quatre projets étaient d’envergures différentes, et ils se trouvaient à des étapes de développement différents. Après cela, il y a eu le travail personnel, le one to one, qui est pour moi l’échange le plus important, celui où le travail s’installe... Ce que j’ai fait, c’est lire les scénarios séquence par séquence, en faisant des observations sur le développement narratif des histoires.

Je pense que tout travail créatif est individuel... c'est-à-dire que seul le réalisateur, le créateur, en l'occurrence le scénariste, peut disposer et décider de l’ensemble des éléments qui peuvent composer son œuvre. Ce que j'essaie toujours de faire, c'est de partager, d'essayer d'interpréter ce qu’est le film que l’auteur·e a dans la tête et dans le cœur.

Après trois jours où j’étais seul avec eux, Agnès Jaoui est arrivée. Chacun de nous deux a travaillé d’une manière différente, et je pense que cela a été très productif pour eux, parce qu’Agnès a apporté sa sensibilité, j’ai apporté la mienne, et ils se sont confrontés à ces deux points de vue.

Agnès Jaoui :
Comme je suis arrivée quelques jours après Fernando Perez, on s’est réunis le soir de mon arrivée, pour échanger et qu’il me dise ce sur quoi il avait avancé… En l’occurrence, on avait le même sentiment sur ce qu’il y avait à travailler sur les scénarios. Puis j’ai rencontré chacun·e des scénaristes seul·e à plusieurs reprises… On s’est vus autant de fois qu’ils l’ont souhaité, en fait.

Quant aux compositeurs de musique de film, c’était d’un autre ordre : j’ai parlé longuement avec l’une des participantes, notamment de la confiance qu’elle pouvait avoir en elle ! Je lui ai beaucoup parlé de la qualité de ce que j’ai entendu, de ce qu’elle faisait, de sa sensibilité – quand elle jouait, c’était magnifique –, et j’ai vu ce qu’elle a fait sur les images…

Alors, on en est tous un peu là, mais justement, c’est aussi intéressant: donner confiance, énormément, et dire que même quand on est confirmé, on doute. Pour moi, c’est toujours un échange entre un doute extrême et une confiance folle qu’on doit avoir soi-même, parce que si nous, on ne croit pas en nous, personne ne le fera !

C’est comme ça que vous envisagiez ce mentoring avant de commencer la résidence ?

Agnès Jaoui :
Pas forcément ! Tu t’adaptes à ce dont les gens ont besoin. Ici, c’était des premiers ou deuxièmes films, donc les participant·es n’étaient pas forcément en pleine confiance… encore que… ! On est toujours très à nu quand on présente un travail qui n’est pas terminé, et que des gens vont discuter dessus : même s’ils ont beaucoup de bienveillance, on est toujours vulnérable.

Par ailleurs, j’aime beaucoup les résidences d’écriture, parce que scénariste, c’est un métier très solitaire, et il n’y a pas tant d’occasions d’en rencontrer d’autres, de parler le même langage, de confronter nos points de vue avec des gens qui aiment inventer des histoires… Et à chaque fois que je vais dans ce genre de manifestation, c’est plutôt ça qui me parle : comme nous sommes des personnes qui aimons les histoires et nous amuser avec, c’est agréable de rencontrer ses pairs, en fait ! Les acteurs, j’en rencontre tout le temps ! Les metteurs en scène aussi… mais les scénaristes, non !

Et qu’a apporté selon vous la concomitance avec le festival de Cannes ?

Fernando Pérez :
Cannes, c’est vraiment la référence des festivals ! Pour le festival [où les participants présentaient leurs projets], nous nous sommes concentré·es sur la préparation d’un pitch. Un temps collectif y a été consacré, au cours duquel nous avons analysé comment allait être le pitch de chacun des projets. Ce processus nous a également permis de comprendre quelles étaient les lignes fondamentales de chaque projet. Anna Glogowski, qui était là en tant que spécialiste de la préparation au pitch des projets, a beaucoup aidé dans ce processus : elle a établi un plan de travail très productif pour chaque résident.

Pour préparer un pitch (qui est un processus que, je dois vous l’avouer, je n’aime pas beaucoup !), il faut aller chercher le sens précis de son travail, du travail que l’on veut faire, et le présenter avec des mots très concis... Cela permet d’établir pour soi une définition plus claire du film que l’on veut faire. En ce sens, ça a été aussi très important pour les résident·es.

Qu’est-ce qui est spécifique dans la résidence CASA CINE à La Napoule ?

Agnès Jaoui :
Le temps ! Trois semaines, c’est un luxe. Moi, je n’ai jamais vu de résidence de plus d’une semaine ou dix jours ! Et il y a eu le Festival de Cannes aussi, avec toutes ses expériences, qui était évidemment, je pense, très intéressant pour eux !

Et mis à part la splendeur du lieu, j’ai trouvé aussi que toute l’équipe (de la résidence et du château) respirait la bienveillance, le travail, quelque chose de pas snob : dans le travail, point barre. Je n’ai senti jamais un jugement sur tel ou tel film, sur telle ou telle œuvre, alors que ça va vite, vous savez ! Et ça, de la part de personne : ni de l’encadrement, ni de l’équipe de la résidence, et ni des participants !

Fernando Pérez :
Tout d’abord, c’est un endroit idéal... C’est un château qui est utilisé comme centre culturel pour accueillir des résidences tout au long de l’année (pas seulement pour le cinéma, mais aussi pour les musiciens, les artistes visuels, etc.) C’est l’endroit idéal pour développer ce genre de travail.

J’ai connu des expériences où les résidences duraient cinq jours, avec beaucoup plus de participant·es, où le rythme de travail était beaucoup plus intense, peut-être moins profond, à cause de la contingence du temps et de la pression du temps. Ce qui a été très positif ici, c’est que les quatre scénaristes ont eu le temps de réfléchir et de travailler sur leur projet individuellement. Ce n’était pas : « Nous allons suivre un plan académique, comme si nous étions dans une école, avec un emploi du temps à respecter ».

Loin d’une discipline stricte, il y avait là une scolastique absolument anti-scolaire (c’est ce que j’aime dans ces processus et ce que j’ai beaucoup défendu à l’école internationale de San Antonio, à Cuba – ce qui la différencie des autres écoles) !

Parce que la création n’a rien à voir avec des règles : elle a à voir avec des principes. Ce qu’il faut créer, ce sont des atmosphères créatives, et c’est ce qu’on a ressenti. Je pense que non seulement nous les mentors, mais surtout les participant·es, qui en sont très reconnaissant·es; chacun·e s’est enrichi·e de cet esprit anti-scolaire, anti-académique, et très créatif !

Cette année, la résidence CASA CINE se déroulera du 10 au 29 mai au Château de La Napoule.